Se reconstruire, un an après la tempête Fiona

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    Au-delà des dommages matériels, certains résidents des Îles-de-la-Madeleine subissent encore les contrecoups de la tempête, notamment sur le plan psychologique.

    « Je reconstruis ma maison, dans l’état d’esprit de me reconstruire, moi aussi », lance la Madelinienne Cybèle Pelletier, un an après le passage de Fiona.

    Cybèle Pelletier est encore hantée par les démons de Fiona. Le 24 septembre 2022, les puissantes vagues ont déplacé et inondé la petite maison qu’elle venait tout juste d’acheter au bord de la mer.

    Elle prévoyait déménager rapidement le bâtiment qui se trouvait dans une zone vulnérable à la submersion côtière, mais Fiona l’a malheureusement devancée.

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    Sans assurances, elle a tout de même trouvé le courage de récupérer certains matériaux avant la démolition, pour reconstruire une nouvelle demeure, toujours aux Îles-de-la-Madeleine, mais loin des vagues. Dans une petite forêt du secteur de L’Étang-du-Nord, elle bâtit elle-même son nouveau nid.

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    Le chantier de reconstruction, à la fois matériel et psychologique pour la mère de famille monoparentale, est loin d’être terminé.

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    De nombreuses séquelles

    Cybèle Pelletier a reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique après Fiona. Le stress l’habite de façon permanente, ce qui cause de nombreux ravages sur son corps.

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    Après Fiona, mes cheveux sont tombés, dit-elle. J’avais les cheveux longs et maintenant j’ai les cheveux courts, mais au moins ils ont recommencé à pousser.

    Ça fait un an que je tremble beaucoup, donc ça change ma capacité à écrire, ajoute-t-elle.

    Et comme si ce n’était pas assez, la femme de 35 ans a récemment développé une maladie inflammatoire des gencives. J’ai des traitements pour essayer de guérir ça avant que je perde mes dents, explique-t-elle. Ça peut être lié à des chocs hormonaux ou des chocs de stress importants. Dans mon cas, pas besoin d’aller plus loin pour comprendre ce qui s’est passé.

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    Le passage de l’ouragan Lee la semaine dernière a contribué à ranimer de douloureux souvenirs chez Cybèle Pelletier.

    Ça a vraiment été une très dure semaine pour moi, dit-elle lentement, émotive. Ça m’a remis beaucoup dans la peur, l’appréhension.

    Alors que des milliers de touristes profitent chaque été des plages des Îles-de-la-Madeleine, Cybèle Pelletier n’est plus capable d’y mettre les pieds depuis un an.

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    Les changements climatiques : un défi de santé publique

    Les changements climatiques sont l’une des plus grandes menaces à la santé, selon l’Organisation mondiale de la santé, lance d’emblée la Dre Marianne Papillon.

    Depuis un an et demi, la médecin-conseil à la Direction régionale de santé publique de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine travaille principalement sur le dossier des changements climatiques.

    Le domaine de la santé est en train de s’approprier le dossier climat, indique-t-elle. Durant longtemps, ça a été porté par les organismes environnementaux, puis là, le milieu de la santé est un peu un nouvel acteur en quelque sorte là-dedans.

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    La Dre Papillon aimerait étudier les répercussions de l’érosion et de la submersion côtières sur la santé mentale des Madelinots, mais son projet n’a pas reçu le financement espéré.

    S’il n’est, par exemple, pas possible d’affirmer scientifiquement que les Madelinots sont de plus en plus nombreux à souffrir d’écoanxiété, la médecin croit qu’il s’agit tout de même d’une hypothèse valide.

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    Bien que Fiona ait pu avoir un effet accélérateur pour certains, la Dre Papillon est d’avis que les effets des changements climatiques sur la santé mentale des Madelinots risquent d’apparaître à plus long terme.

    Ça prend du temps avant qu’on réalise les effets que ça peut avoir, note-t-elle. Le temps de constater les dégâts, de chercher des solutions, de faire des démarches par-ci par-là, un moment donné, il arrive comme une fatigue et il peut y avoir des troubles anxieux, des troubles dépressifs, plus de [dépendance], etc.

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    La médecin croit tout de même que Fiona a eu du positif : elle sent une plus grande mobilisation de son milieu pour tenter de faire face aux changements climatiques, dont les effets se feront d’abord sentir auprès des plus vulnérables.

    Les gens sont plus sensibilisés, ils font plus le lien entre leur réalité et les changements climatiques, observe la Dre Papillon. Il y a moins de résistance par rapport à ces discussions-là, pour établir des partenariats.

    L’important, c’est quand même de passer à l’action et de ne pas attendre, ajoute-t-elle.

    Des chantiers de protection qui se multiplient

    Depuis 2005, la mer gruge en moyenne 53 centimètres de côtes madeliniennes chaque année. C’est ce qu’indiquent les données prélevées par les 1207 stations de suivi réparties sur le territoire des îles de la Madeleine par le Laboratoire de dynamique et de gestion intégrée des zones côtières de l’UQAR.

    Fiona a toutefois accéléré le processus; la tempête a fait reculer la côte de 17,8 mètres dans un secteur de la baie de Plaisance, en quelques heures seulement.

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    Fiona a eu comme impact de rendre notre territoire encore plus vulnérable, résume Jasmine Solomon, la gestionnaire de projets en érosion côtière à la Municipalité des Îles-de-la-Madeleine. Son poste a été créé au printemps 2022, face à l’ampleur des défis pour protéger le territoire madelinot.

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    Le ministère des Transports et de la Mobilité durable mène actuellement trois chantiers majeurs, dont les coûts sont estimés à près de 67 millions de dollars, pour sécuriser la route 199, l’axe routier principal de l’archipel.

    Entre 2018 et 2022, le ministère a décaissé 37,7 millions de dollars pour freiner l’érosion côtière aux abords de la route 199.

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    Depuis deux ans, la Municipalité des Îles-de-la-Madeleine a également achevé deux chantiers d’importance pour protéger des bâtiments du centre-ville de Cap-aux-Meules et du site historique de La Grave à Havre-Aubert.

    Ces deux chantiers ont coûté à eux seuls 19 millions de dollars, payés en majeure partie par Québec. Le gouvernement provincial a déjà promis d’investir 10 millions de dollars supplémentaires dans deux autres projets similaires.

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    La Municipalité a récemment déposé un cadre d’intervention en érosion et en submersion côtières dans lequel elle identifie 85 sites vulnérables à l’érosion.

    Les élus réclament 80 millions de dollars sur dix ans au gouvernement provincial pour passer à l’action et protéger le territoire.

    Ce n’est qu’un début, croit Jasmine Solomon. L’ampleur de la tâche est assez grande.

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    Au-delà des chantiers et des millions de dollars à trouver, Jasmine Solomon rappelle que le dossier de l’érosion côtière est aussi très émotif et s’inquiète elle aussi de la détresse psychologique qu’elle observe chez certains de ses concitoyens.

    Après la tempête Fiona, j’ai dû accompagner des citoyens qui se sentaient super démunis, explique-t-elle. Ils ne savent pas vers qui se tourner, donc ils nous appellent à la Municipalité. On se rend sur le terrain, on va voir, on les accompagne du mieux qu’on peut, même si l’on n’a pas toujours les façons de faire pour les aider. Ça génère beaucoup d’anxiété et de préoccupations.

    LA UNE : Cybèle Pelletier et sa fille sont les seules Madeliniennes à avoir perdu leur habitation principale lors de la tempête Fiona. Malgré une santé fragilisée, la mère de famille monoparentale est actuellement en train de reconstruire une maison, loin de la mer. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE
    PAR Isabelle Larose