Louis Boudreault – Dessine-moi une émotion

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    Je suis né le lundi 24 septembre 1956 à Portage-du-Cap, Havre-Aubert, Îles de la Madeleine. Ça tombe bien, j’adore l’automne.  Mes parents sont commerçants, ils possèdent un magasin général, mon père est aussi tailleur. Ils travaillent tous les deux beaucoup,  je suis  fils unique et je dois m’occuper de beaucoup d’animaux.

    Nous avons des chiens, des chats, un lapin, un goéland et un corbeau, et tout ce troupeau reçoit également la visite d’autres quadrupèdes.

    À cette époque, Portage-du-Cap est un village qui ressemble à une grande famille. Nous sommes une trentaine  d’enfants du même âge ou à peu près, largués dans la nature. D’ailleurs, mes grands parents maternels Bouchard pour grand-père et Vigneau pour grand-mère occupent en comptant les alliances plus de la moitié du village. Il y a toujours quelqu’un pour nous donner à manger lorsque l’on a faim et pour nous ramasser quand c’est l’heure de rentrer.

    La vie est simple, on joue dehors  6 heures par jour, on pousse comme les blés. On a des cabanes dans le bois, on comptabilise les nids trouvés  dont on surveille l’éclosion des oeufs, nous ramassons des coques, les pêcheurs nous donnent des homards qu’on fait cuire sur la plage. C’est une enfance au grand air, très privilégiée et remplie de rires. Une sorte de version maritime de la Petite Maison dans la Prairie.

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    Paris….en bref

    Après mes études en histoire de l’art, j’ai travaillé comme conseiller en oeuvres d’art durant 5 ans. La curiosité qui m’incitait à suivre toutes les ventes publiques des plus humbles aux plus prestigieuses s’était avérée payante en connaissances et elle allait le devenir aussi professionnellement.

    Le hasard voulut dès le début de cette aventure que je fasse la découverte de dessins de Modigliani perdus durant la première guerre mondiale (1914-18). Le milieu de l’art est somme toute un microcosme, et cet évènement fit suffisamment de remous pour précipiter ma reconnaissance professionnelle.

    Ce métier était passionnant, et il m’a permis d’évoluer dans plusieurs parties du monde, de rencontrer des êtres extraordinaires et d’avoir en mains pendant des semaines d’incroyables chefs-d’oeuvre.

    Une merveilleuse bonne étoile doublée d’une passion au travail ont fait de ces vingt années parisiennes des moments riches en découvertes, en apprentissages, en rencontres heureuses et décisives. Je ne m’y attarderai pas davantage, car un roman ne suffirait pas.

    C’est toutefois au milieu de cette vie tourbillonnante que je m’avouai un matin n’avoir plus du tout envie de vendre les tableaux des autres. Je voulais proposer d’autres images, les miennes. Mais c’était un peu comme sauter en parachute pour la première fois… en espérant qu’il s’ouvre.

    Un matin, je dis à mon grand ami et professeur de dessin Mac’Avoy :

    « Édouard, ce serait fou si j’envoyais balader le marché de l’art pour commencer à peindre, non ?

    Et Édouard de me répondre : « Ce qui serait fou serait de ne pas le faire!

    Et puis qui te demande d’envoyer qui que ce soit balader ! Commence sans rien dire. Tu verras bien »

    Ce que je fis.

    Je désirais depuis longtemps raconter une autre version de l’histoire et d’une autre façon. Je voulais reparler de l’importance de la couleur, rendre hommage aux gens du siècle et peindre des émotions littéraires.

    Je voulais proposer un travail qui raconterait simplement des histoires, des moments, des trajectoires qui me fascinaient. Je voulais qu’il soit direct, sans accessoires inutiles, élégant et fidèle aux sujets qu’il aborderait.

    Je décidai dès lors d’aborder ces différents sujets en les travaillant par série. 35 ans plus tard …j’y suis toujours.

    Chaque série durerait au maximum une dizaine d’années et ferait dans la mesure du possible un tour assez complet du sujet qu’elle aborde.

    Tout cela a fonctionné, mais je n’arrive toujours pas à abandonner complètement une série. Je m’en éloigne, mais j’y reviens et la retrouve avec un plaisir toujours aussi grand.

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    Série Les Envois (1995-2005)

    Les Envois amorcent une réflexion sur la façon dont on se procurait la couleur pendant la Renaissance (1450-1590).

    Depuis l’Orient vers l’Occident, la matière colorée (pigments) arrivait par caissons de bois, chargés du rêve de leur pays de provenance. Ils serviraient à peindre les grands chefs-d’oeuvre de la peinture occidentale.

    Série Destinée (2005-2016)

    La Série Destinée nous raconte à travers de grands portraits, l’enfance de personnalités qui ont fait le XXe siècle . Ces portraits nous amènent à poser un regard neuf sur des visages souvent croisés, mais dont la notoriété nous a fait oublier qu’ils furent autrefois des enfants .

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    La Série Destinée fera effectivement le tour du monde. Beaucoup d’historiens d’art et critiques lui consacreront une importante couverture littéraire. Elle fait aujourd’hui partie de centaines de collections et suscite toujours un engouement qui grandit avec les années. Certains portraits comme ceux de Marguerite Duras, de Picasso, d’Einstein ou de Maurice Richard enfants sont devenus iconiques.

    Série Les Fragments d’Écriture (2017- )

    Avide de lecture, je rêvais d’un tableau qui reproduirait le plus fidèlement possible, les images et le bien-être qui m’habitent longtemps après avoir refermé certains livres…et puis un jour, c’est arrivé.

    Les dessins sont devenus lettres dessinées, les accumulations de papier devinrent des empilages de toiles, et des centaines de fils de couleurs ont remplacé les crayons. Depuis bientôt 7 ans, l’atelier vit au rythme du son feutré des aiguilles sur la toile. La magie de peindre avec des fils fonctionne comme la suite naturelle de la Série Destinée

    En 2017, lors de la première exposition des Fragments d’Écriture à Québec, l’historien d’art James D. Campbell signe la préface du catalogue dont voici un extrait:

    « Fragments d’écriture »

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    Série sur les souvenirs d’enfance, appelée souvent dessins des Îles

    Ces grands dessins qui représentent des paysages, des plages et des gens des Îles reviennent régulièrement ponctuer mon travail.

    C’est un bol d’air. Dans l’atelier, il y a toujours dans un coin un de ces «dessins des Îles» à peine commencé ou à la veille d’être terminé.  Pendant 30 ans, ils n’ont jamais été exposés ailleurs qu’aux Îles et certains de mes plus fidèles collectionneurs à l’international ignoraient encore très récemment leur existence. Ces dessins occupent une grande place dans mon coeur et pour paraphraser Marguerite Duras très présente dans mes Fragments d’Écriture: « Il reste toujours quelque chose de l’enfance, toujours. »

    PS: Ces dessins sont rarement disponibles en galerie, mais il y en a régulièrement en ventes publiques. J’en offre beaucoup pour soutenir certains organismes d’aide comme La Fondation Lise Watier, Jeunesse au Soleil, Madeli-Aide , La fondation Émergence, Le Chaînon, L’orchestre Métropolitain etc.

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    En Vrac

    On est toujours l’étranger de quelqu’un chantait Pauline Julien

    Je suis né aux Îles ainsi que tous mes ancêtres.

    J’ai vécu aux Îles et j’ai vécu ailleurs.

    À Montréal pour les études, ensuite en France pendant 20 ans et un peu partout dans le monde pour le travail et aussi pour le plaisir.

    J’ai toujours pensé que chacun était chez soi sur la terre. comme l’a écrit Gilles Vigneault

    On m’a souvent demandé d’où je venais mais aurais-je supporté qu’on me le reproche.

    Loin de moi le désir d’entrer dans un quelconque débat d’appartenance.

    Mais contrairement à ce que l’on entendait l’été dernier, je trouve que nous avons la chance d’accueillir chaque année des personnes de grande qualité, amoureux des Îles et de la nature, respectueux et conscients de nos défis environnementaux. Il y a surement des exceptions, je sais, comme partout.

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    Nous traversons une période touristique en mutation constante. Il est tout a fait probable que beaucoup choisiront de venir plus tôt au printemps ou plus tard en arrière-saison. Si cette tendance déjà perceptible se maintient, elle pourrait à moyen terme aplanir les pics saisonniers et tenir allumées les maisons à l’automne.

    J’ai des souvenirs précis des années 1970 aux Îles à une époque où les touristes en étaient franchement absents et j’avoue n’avoir aucun regret de cette période.

    Certes, les Îles des années 1980 avec la renaissance de la Grave furent magiques. Une incroyable volonté de se réunir et de recevoir amicalement des gens de tous horizons avait fait naître un endroit incroyable LE CAFÉ de la GRAVE. C’était il y a bientôt un demi-siècle, la mobilité estivale a radicalement augmenté et cela engendre des craintes. Je les partage et les comprends, j’ai les mêmes.

    Montréal aussi a beaucoup changé, Paris également, le monde a beaucoup changé.

    Mais n’est-ce pas la marche du temps que de regretter notre temps tout en acceptant le fait que chaque génération propose une autre vision des choses.

    Créons la nôtre pour qu’elle soit la plus agréable possible en reflétant nos valeurs et celles de notre magnifique province de Québec; celles aussi d’un Pays considéré par le monde entier comme un modèle en matière de paix et de droits humains et d’accueil, le Canada.

    Je pense également qu’il est utile de garder en mémoire que toute personne se retrouvant sur les Îles a d’abord franchi ces deux frontières et de ce fait est parfaitement chez lui, dans le respect bien sûr des lois fédérales, provinciales et municipales en vigueur.

    En terminant, j’aimerais vous dire tout l’amour que nous avons Josy et moi pour les Îles,

    En 1994, nous achetions la Maison de Rosée qui avait été laissée à l’abandon afin de la restaurer et d’en faire notre maison de coeur.

    Dès lors, de chers amis y passaient de grands moments d’été avec nous. Et beaucoup d’entre eux ont laissé des souvenirs de spectacles assez mémorables. Je pense à Georges Moustaki, à Anne Sylvestre, à Claude Léveillé, à Daniel Mille, à Isabelle Mayereau, à Huguette Oligny, à Philippe Forcioli, à France Léa et tant d’autres…

    Quinze ans plus tard, nous avons eu le privilège d’acquérir La Marée Haute et de la restaurer afin d’en faire notre maison définitive.

    Notre travail nous oblige encore à passer beaucoup de temps à l’extérieur, mais dès que nous le pouvons, nous regagnons le Chemin des Fumoirs avec un bonheur infini.

    Je vous aime et souhaite à tous un très bel été.

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    LA UNE :  John F. Kennedy | Techniques mixtes, crayon, gouache et papiers encollés sur bois. © Jean-Claude Lussier

    Source : Magazine LES ÎLES